Surclassée

Qu’est-ce qu’ils sont confortables ces sièges de première classe ! C’est la première fois que je m’y assoies. D’habitude je passe devant les premiers wagons du quai en traînant mes valises et j’y jette un rapide coup d’œil. Cette fois c’est moi qui regarde passer les voyageurs pressés, bien installée près de la fenêtre. Le train part tandis que la nuit commence à recouvrir la gare, je regarde Lyon s’allumer discrètement et s’éloigner en glissant tranquillement.

Il fait un peu chaud, les heures d’attente de la journée sont comme accumulées dans mon corps, elles pèsent sur moi de plus en plus fort. Je parcours en pensée ces longs moments de tension et d’inquiétude que j’ai vécus aujourd’hui, cette correspondance que je ne prendrai pas, ces six heures d’attente interminables à boire des cafés et à regarder les gens arriver et partir. Ah, je l’ai méritée cette place en première classe ! Je m’enfonce un peu plus dans le siège, mon dos bien calé. Le wagon est presque vide, un calme douillet règne. La fatigue me tombe dessus tout d’un coup. Bercée par le ronronnement discret du train, je m’assoupis.

Une voix masculine au ton enjoué me réveille en sursaut. C’est le chef de bord qui nous indique que nous sommes arrêtés en pleine voie, et qu’il est formellement interdit d’ouvrir les portes. Autour de moi l’ambiance a complètement changé, j’ai dû dormir longtemps et d’un sommeil épais, car toutes les places sont désormais occupées. Mon voisin travaille sur son ordinateur. Un peu plus loin, une jeune femme est endormie contre son compagnon. Chacun semble absorbé dans quelque chose d’important.

Je regarde l’heure, 20h58, il nous reste à peine vingt minutes de trajet, il faut absolument que je trouve quelqu’un pour venir me chercher à Marseille. A cette heure, je n’aurai plus de moyen de me rendre dans le petit village où j’habite. Je me lève et dérange mon voisin qui me le fait sentir ouvertement par une sorte de grognement animal sans lever les yeux vers moi un instant. Je m’excuse et me faufile hors de la voiture.

Qui vais-je bien pouvoir appeler à cette heure un dimanche soir ? Le train redémarre lentement. Au moment où je m’apprête à composer le premier numéro auquel je pense, la voix enjouée retentit de nouveau dans le haut-parleur : « dans quelques minutes, nous arriverons en gare de Vergueroen, Vergueroen, deux minutes d’arrêt. »

Je relève la tête brusquement, ce nom m’est complètement inconnu. J’habite dans la région depuis plus de vingt ans et cette ligne de train, que j’emprunte régulièrement, ne s’est jamais arrêtée dans une gare avec un nom pareil ! J’agrippe vite mon téléphone et je fais une recherche sur cette ville au nom étrange. Mon cœur fait un bond et se met à marteler violemment ma poitrine. Je me suis trompée de train, il est plus de 21h, nous sommes dimanche soir, et je suis à 600 km de chez moi…

Je sens les larmes qui montent, mes lèvres qui tremblent. La voix revient, encore plus enjouée. Mais comment peut-il être si joyeux d’annoncer un arrêt alors que je suis dans une telle situation !!!

« Mesdames et messieurs, il est 21h15, nous sommes le dimanche premier avril 2018, veuillez m’excuser, je n’ai pas pu résister, ceci est un poisson d’avril ! »

Enfin, j’aperçois la gare de Marseille vers laquelle nous progressons sereinement.

Atelier d’écriture Picorette – septembre 2018

Restons en contact !
Demotsenpages
Pour me contacter par téléphone :
06 10 15 06 82
Suivez-moi sur Facebook :
" Pour plus de précisions ou d'informations, pour répondre à vos hésitations, contactez-moi ! "
Pour me contacter par mail :